Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/266

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expressions du visage de mon ami, je pris plaisir — un plaisir vengeur — à me dire à moi-même :

— Il ne me répond pas… parce qu’il ne sait pas, parbleu !… Je suis sûr qu’il ne connaît même pas les araignées… qu’il ne connaît rien… rien… rien… Un savant ?… Lui ?… allons donc !… Un bluffeur !… Rien… rien… rien… ce n’est rien… moins que rien… Le dessous de rien… Sa réserve ?… mais c’est à mourir de rire… Sa réserve… C’est qu’il ne sent rien… qu’il ne sait rien… qu’il n’a rien à dire… Et ses dégoûts pour les honneurs… pour l’Académie ?… Ah ! parlons-en de ses dégoûts… Pour l’Académie… Il crève d’envie d’en être… de jalousie de ne pas en être… Et toutes les infamies qu’il commet pour en être !… Hypocrite… Farceur… Ignorant… Fumiste… Crapule !…

Cette énumération d’épithètes injurieuses ne s’arrêta pas là. J’épuisai tout ce qu’en contient le vocabulaire poissard et j’en inventai de nouvelles. On eût dit que tout le monde, autour de la table, écoutât, dans un silence consternant, rouler en moi ce flot de mots orduriers. Seule, Mme Legrel était visiblement absorbée par d’autres préoccupations. Elle grignotait et regrignotait sans cesse de petits morceaux de cette tarte si décriée par son mari et, s’efforçant de rassem-