Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/273

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l’horreur de ce meurtre, que nous restions là, courbés autour de la victime, sans un geste, sans une parole. Ne sachant que faire, ne sachant que dire, j’invectivai contre Dingo, qui s’était éloigné, le museau tout rouge, en grognant, non toutefois sans surveiller, d’un œil mécontent et attentif, ce que nous allions faire de sa proie. Lui seul n’avait pas perdu la tête dans cette catastrophe.

Et Legrel ne disait toujours rien. Et Mme Legrel considérait le cadavre de ses yeux agrandis, tout ronds, horrifiés. Et la pauvre petite Irène, très pâle, se mordait les lèvres, cruellement, pour ne pas éclater en sanglots devant nous, tandis que des hoquets soulevaient sa poitrine à la briser.

Je ne sais plus les choses folles que je débitai, les promesses folles que je fis, les terribles menaces que je proférai contre Dingo, les excuses éperdues par où je m’humiliai et j’humiliai, avec moi, toute la nature. Cela était si excessif, si disproportionné, cela dénotait un tel désarroi mental que Legrel et sa femme finirent par s’émouvoir. Peut-être redoutèrent-ils de me voir tomber en démence tout à coup. Peut-être eurent-ils l’idée d’un suicide, dont mon désespoir exalté, mes paroles incohérentes pouvaient vraiment évoquer l’image sinistre chez des âmes