Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comment expliquer cela ? Longtemps, je fus troublé, je l’avoue. Mon matérialisme — que je supposais si solidement établi — faillit céder, devant un tel prodige. J’en arrivai presque à croire que Dingo était réellement un être mystérieux, une force inconnue, un fléau de Dieu, lâché sur la terre et même, comme le disait le curé avec une apparence de raison, une des deux incarnations du diable dans le pays, moi étant l’autre.

J’appris plus tard, par bonheur, la cause de cette évolution. Elle n’avait rien de surnaturel, de diabolique, ainsi que vous le verrez.

Dans le village, vivait, exerçant la principale profession de bourrelier, un certain Velu, Joseph Velu.

Par une antinomie dont on s’amusait, ce Velu était complètement chauve. Sournois, méchant, coléreux et d’ailleurs conseiller municipal et pour le surplus sacristain de la paroisse, il avait une figure blanchâtre, grimaçante, toute fripée. Ses omoplates remontées lui faisaient comme un sac de troupier sur le dos. Il se cognait les genoux en marchant, et ses mollets, à partir des genoux rapprochés, formaient un A majuscule aux jambages écartés. Hideux et grotesque bonhomme.

C’était son amusement d’effrayer les enfants et les animaux et, au besoin, quand il pouvait, de