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Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/342

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leur faire du mal. On le détestait. On l’accusait de passions anormales (dame ! un sacristain !) et des mille petits méfaits qui troublent quotidiennement la tranquillité de presque tous les villages, par exemple, au moyen de procédés captieux, d’attirer chez soi les chats, les poules, les oies, de les tuer et de les fricasser en ragoût. Malheureusement, on ne l’avait jamais pris en flagrant délit d’attentat à la pudeur et de vol… Il savait, du reste, habilement détourner les soupçons sur Piscot, qui, étant le plus pauvre et même le seul pauvre du village, devait être tout naturellement le plus vicieux.

Mais, tout en le détestant, comment ne pas, dans le fond, respecter un homme qui se différenciait de ses concitoyens, en ceci qu’il était toujours habillé en militaire. Ancien brigadier aux tringlots, depuis qu’il avait quitté le service, c’est-à-dire depuis dix ans, on ne l’avait jamais vu qu’en militaire. En militaire, dans sa boutique où il achevait d’user au travail ses uniformes décolorés. En militaire aussi, mais plus éclatant, le dimanche, à la promenade, à l’église, au cabaret, au Conseil municipal, ou bien assis sur le pas de sa porte, ou bien sonnant les cloches de l’Angelus, servant la messe, accompagnant le curé, lorsque celui-ci s’en allait dans la campagne porter le viatique aux mourants.