Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/350

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Je voyais souvent l’instituteur. C’était un homme juste et instruit. Il avait conscience de ses devoirs et de sa mission. Comme il n’était ni du pays, ni curé, ni notaire, il avait à subir la même haine, les mêmes vexations que moi.

Il me disait :

— Je ne peux plus vivre ici… J’aime mieux abandonner l’enseignement et m’en aller n’importe où, travailler à n’importe quoi… On me reproche, à la préfecture, mes classes mal tenues, le manque de résultats. Ah ! je voudrais bien l’y voir, le préfet !… Les parents me confient leurs enfants pendant trois mois de l’année et l’hiver seulement… ils me les retirent au printemps, dès qu’ils ont besoin d’eux pour garder leurs vaches, leurs oies, leurs dindes… Cela, pour économiser un petit domestique. Ils n’apprennent que peu de choses, et le peu qu’ils ont appris, ils l’oublient aussitôt… L’année suivante, c’est à recommencer, dans les mêmes conditions… Et ainsi de suite… si bien que, quand ils quittent l’école tout à fait, beaucoup ne savent même pas lire… Et ils s’en vont grossir la masse des illettrés… Dame ! Rien d’étonnant, avec ces méthodes de lecture, compliquées, baroques, absurdes, dont nous sommes bien obligés de nous servir, afin de ne pas indisposer contre nous leurs auteurs : gros personnages de l’Université, simples inspecteurs primaires,