Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/423

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Dingo, rentrant à la nuit tombante, se précipita, comme d’habitude, vers la chambre de ma femme. Elle était étendue sur le lit. Autour d’elle des linges sanglants, des cuvettes rouges. Penchés sur elle, un chirurgien qui pansait ses plaies béantes, et moi, tout pâle, défaillant, qui aidais le chirurgien… Dingo s’était arrêté, comme cloué, au seuil de la porte. Étonné d’abord, puis méfiant, il nous examina, le chirurgien et moi, d’un regard soupçonneux et sévère. Soudain, comme s’il eût compris, il poussa un cri et sauta, pour mieux voir, sur un fauteuil en face du lit. Oh ! le regard de Dingo ! Jamais regard humain n’exprima plus de tristesse, plus de douleur.

Pendant trois semaines, jour et nuit, il ne bougea pas de son fauteuil. Il restait là sans remuer, sans manger, sans dormir, les oreilles dressées, la tête immobile, obstinément tendue vers la malade. Parfois, au petit matin, lorsqu’on venait ouvrir les fenêtres, il s’assoupissait, sommeillait quelques minutes d’un sommeil agité, plein de rêves pénibles. Il était doux, plus doux avec les gens de la maison. On eût dit qu’il les remerciait des soins qu’ils donnaient à sa maîtresse. Mais, depuis l’accident, il manifestait envers le valet de chambre une haine violente. Une fois, il s’élança sur lui avec fureur, le mordit cruellement aux jambes, au poignet, au bras… Il