Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/428

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luer ma faiblesse et ma souffrance. Sa pitié était une expertise. Je le sentais bien, maintenant que j’en étais le sujet et non plus seulement le spectateur. Pendant qu’il parlait, son visage, d’ordinaire amolli d’une perpétuelle émotion, se fixait parfois, se tendait comme pour une besogne. Et son regard se posait sur moi furtivement, de biais, avec une expression singulière… Où donc avais-je vu un semblable regard ? C’était dans un hôpital, un infirmier donnant à un malade des soins répugnants et n’ayant qu’un petit éclair de vengeance au coin de la paupière. Je compris aussi que Dalant ne me pardonnait pas les services que j’avais pu lui rendre. Il était heureux d’exercer sa pitié sur moi.

Quand il voulut partir, je ne fis aucune tentative pour le retenir. Il répéta plusieurs fois :

— Tout ira bien… vous verrez… Je reviendrai la semaine prochaine.

Il ne revint pas.

À rester immobile dans la chambre, Dingo tomba malade. Le globe de ses yeux, les muqueuses de sa gueule, ses paupières se marquèrent vite de taches jaunes et brunes. Il vomit du sang. Le vétérinaire déclara :

— Votre chien est atteint d’une jaunisse qui ne pardonne pas… On en sauve un sur mille… Moi