Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/432

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Je n’ai pas la force d’accepter, sans commentaire, la nécessité de cette mort. J’en arrive à me dire qu’il vaut peut-être mieux qu’il en soit ainsi. Pour la même raison, d’autres pensent devant un mort : « Il est au ciel… » Il faut que tout soit pour le mieux… Que serait devenu Dingo, avec son appétit de meurtre, ses besoins de carnage ?… Je vois des poulaillers entr’ouverts, des poules étendues, le cou mou, comme une corde oubliée sur le sol… et des paysans qui poursuivent Dingo l’attrapent et le torturent. Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi… On ne prend pas un chien de la brousse, sir Edward Herpett, pour en faire un chien d’appartement… Il tuait les poules… Mais il m’aimait et je l’aimais… Sa tendresse valait mieux que celle d’un homme… il m’aimait pour m’aimer… Et maintenant que ses paupières couvrent à demi ses yeux vitreux, je me souviens du Dingo dont tout le corps frissonnait de joie quand je m’approchais pour le caresser…

Le lendemain, au petit matin, j’allai chez Flamant. Il rentrait de la forêt, redresser ses collets, hélas ! vides. Ses chaussures, son pantalon étaient trempés de rosée.

— Dingo est mort, dis-je.

— Ah !… s’écria Flamant, qui, laissant tomber à terre ses collets, sursauta et dont la pitié acheva de s’exprimer dans un geste.