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bourgeonnement, où sous la peau de l’animal, comme sous l’écorce du jeune arbre, les afflux de sève fermentent, bouillonnent, se concrètent en bosses, en plis et vont jaillir de partout en germes éclatés. Avec un intérêt passionné, je surveillais les moindres incidents de sa croissance, de même qu’au printemps on surveille à la pointe des tiges les efflorescences d’une plante, pour épier ce qui va naître d’elle. Sans jamais m’en lasser, je m’amusais à sa gaîté désordonnée qui pouvait paraître souvent de la folie, mais que dominait, que dirigeait une raison d’être supérieure, inconnue de lui, raison d’équilibre physiologique, d’ajustage mécanique, de canalisation vasculaire, d’endurance. J’applaudissais à sa joie de destruction, si touchante, à sa férocité dans le déchirement, si naïve, par quoi, à son insu, s’entraînaient dans le sens de sa destinée les forces naissantes, encore mal distribuées, de ses organes.

C’est ainsi qu’il réglait par ses divers jeux, qu’il mettait au point, mécanicien inconscient, la puissance d’étreinte de sa mâchoire, le fonctionnement musculaire de ses épaules, de son encolure, la souplesse de ses jarrets et de ses reins, en déchiquetant, avec des grondements déjà terribles, le cuir des chaussures, en rongeant le pied des fauteuils, des lits, des tables, les bas de portes,