Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/46

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avec un acharnement de fauve affamé, en emportant dans sa gueule, comme de pesantes dépouilles conquises à la bataille, tout ce qu’il pouvait atteindre de fourrures, de vêtements de laine, de chapeaux emplumés, de gants, de brosses de crin, de peignes d’écaille, de bibelots d’ivoire, de corne et d’os, où son flair retrouvait à travers l’espace et à travers le temps, avec l’odeur originelle, l’originelle haine des bêtes, des parcelles de bêtes, que ces choses avaient été jadis. Et je jouissais infiniment, comme devant l’un des plus impressionnants spectacles de la nature, à suivre les progrès de ce lent et sûr travail, les épisodes de ce drame grandiose et obscur, où pourtant j’apercevais, clairement défini, le but vital pour lequel les gestes, les mouvements, les ruées soudaines de l’instinct et leurs nécessaires violences acquéraient, pour la défense et pour l’attaque, une force, une élasticité, une grâce aussi et une précision de jour en jour plus marquées. Il avait l’air de jouer au méchant tigre, de même qu’un enfant, dont la conscience s’éveille, commence à jouer, tout naturellement, au soldat ou au brigand.

Dès qu’il fut davantage en possession de soi-même et maître à peu près de ses organes, Dingo m’émerveilla par une faculté prodigieuse et comique d’adaptation au milieu nouveau où