Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/52

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riait. Certes, il ne riait pas à la manière des hommes qui se tordent de rire, qui se tiennent les côtes de rire : gestes qui lui eussent été difficiles et probablement répugnants. Mais il avait un rire sévère, un peu morne, un rire immobile… le rire classique des augures et des grands comiques.

Au fait, on ne pouvait pas le tromper. Il flairait, de très loin, dans sa pâtée, l’odeur suspecte, l’ingrédient étranger, s’arrêtait net dans son élan, s’allongeait ensuite sur le ventre, les pattes de devant croisées l’une sur l’autre, la tête dédaigneusement levée vers le plafond et ne bougeait plus. À mes appels, il ramenait en arrière ses oreilles brusquement couchées, se fouettait les flancs par de lents mouvements de sa queue, — ce qui était le signe d’un grave mécontentement, au rebours des mouvements précipités qui étaient un signe de joie, — et ne bougeait pas davantage. Si, agacé, je l’amenais de force, en le traînant par la peau du cou, devant sa pâtée, si je lui disais sur un ton impératif : « Allons, Dingo, mange… mais mange donc… sacré nom d’un chien ! » il secouait la tête comme un enfant qui refuse d’obéir. Je crois aussi qu’il ne me pardonnait pas ce jurement… Le « sacré nom d’un chien », l’offusquait, lui semblait aussi blasphématoire qu’à une dévote le « sacré nom de Dieu » d’un vieux général boulangiste.