Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/53

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— Voyons, mon petit Dingo, reprenais-je sur un ton complètement changé, un ton doucement suppliant… mange… je veux que tu manges… Pour me faire plaisir…

Il fallait le voir alors se remettre debout, plisser son front maussade, trépigner, gratter le tapis, renverser sur la nappe de linoléum son assiette ou son bol d’un coup de patte bref et sans réplique. Et il s’en allait, lentement, en affectant de regarder à droite, à gauche, il ne savait quoi, avec un air détaché, un air d’être ailleurs, très loin de sa pâtée et de moi.

Ce qui ne l’empêchait pas, quand il découvrait dans le bois, sous un tas de feuilles mortes, ou bien enfouies profondément dans la terre, d’innommables ordures, de s’y délecter avec gloutonnerie.

Chaque fois qu’il m’arrivait de le surprendre en l’un de ces ignobles festins, je lui disais, avec un chagrin amical, dans l’espoir de lui donner de la honte et du remords :

— Ah ! Dingo !… toi !… toi si bien élevé ! ah ! fi… que c’est laid ! que c’est vilain !

Et je lisais sa réponse dans ses yeux étonnés :

— Eh bien ?… quoi ?… Ce n’est pas de la nourriture… c’est de la chasse. J’appelle nourriture ce que tu me donnes… chasse ce que je trouve… Et tu sais, ce n’est pas fameux ce que tu me donnes… c’est toujours la même chose… Avec ça