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elle détestait plus encore sa petite-fille, dressée à lui tirer la langue, « à lui faire les cornes », chaque fois qu’elle la rencontrait.

Au début de son internement, Jaulin avait laissé à sa mère un peu de liberté. Elle pouvait sortir de sa prison, une fois la semaine. Au risque de se casser les reins, elle avait descendu le noir et mortel escalier, était allée, à quelques maisons de là, rendre visite à la mère Chandru, une vieille de son âge, paralysée des jambes, coiffée toujours d’un madras noir à pois blancs, que, par les jours de soleil, on étendait sur un matelas, le long du trottoir, devant sa porte. Les deux vieilles bavardaient de leurs misères, de leurs infirmités, de la méchanceté des gens. Et elles finissaient toujours, à propos de rien, par se disputer, s’injurier, se menacer. C’était la joie des gamins. Ils s’attroupaient autour d’elles, criaient, trépignaient, dansaient, les excitaient :

— Kiss !… Kiss !… faisaient-ils.

Alors la fureur des deux vieilles réconciliées se tournait contre ces féroces gamins qui, de plus en plus exaltés par les grimaces, les gesticulations et l’impuissante colère de leurs victimes, s’enhardissaient jusqu’à leur jeter au visage des boulettes de papier et des épluchures de légumes…

— Kiss !… Kiss !

Si bien que Jaulin coupa court à ces scènes