Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/118

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ne gagnent pas grand’chose, c’est vrai. Mais ça leur suffit… Du reste, qu’est-ce qu’ils feraient de plus d’argent ?… Rien… rien… rien… Vous allez rire. L’année dernière, j’ai donné vingt francs à un ouvrier qui avait sauvé la vie à ma fille… ma fille unique… tombée dans le canal… Savez-vous ce qu’il a fait de ses vingt francs ? Il a acheté un samovar, mon cher monsieur, un samovar !… Il est vrai que c’est un Russe… N’importe.

Et il répète, en levant les bras au ciel :

— Un samovar !… Un samovar ! Et ils sont tous comme ça !… Parbleu ! ils se mettent bien en grève, de temps en temps, comme les autres… Que voulez-vous ?… c’est la mode, aujourd’hui, dans le monde ouvrier… Du moins, chez nous, les grèves ne sont pas sérieuses… des grèves pour rire… Quelques jours de flâne… et puis à l’ouvrage !… Nos grèves ?… C’est la forme moderne de la kermesse… Oui, mais, dès que nos ouvriers sont en grève, arrivent, on ne sait d’où… des tas de socialistes… d’anarchistes… enfin des Français… Ils gueulent : « Debout ! Debout !… Sus aux patrons !… Mort au capital !… » Ils excitent à la violence, à l’émeute, au pillage. Et voilà nos bons petits agneaux belges, changés, aussitôt, en bêtes féroces françaises… Alors, tout va mal… le gâchis, quoi !… Nous sommes bien obligés, parfois, d’augmenter les salaires… Or, augmenter les salaires, savez-vous ce que c’est ? C’est ruiner notre industrie, tout simplement… Oui, monsieur, notre industrie… vous ruinez notre industrie, tout simplement… Ah ! sans vous !…

Je voulus expliquer à mon interlocuteur que nos grands industriels du Nord formulaient les mêmes éloges sur le désintéressement de leurs ouvriers, et les mêmes plaintes contre les excitateurs belges. C’est beaucoup plus facile que de rechercher les vraies causes d’