Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/121

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Un soir, au Musée de La Haye, j’ai vraiment entendu l’Homère de Rembrandt me dire :

— Éloigne de moi, – ah ! je t’en supplie, toi qui sembles m’aimer silencieusement, – éloigne de moi tous ces sourds bourdonnements de moustiques, toutes ces douloureuses piqûres de mouches, qui rendent ma vie si intolérable, dans ce musée, et qui font que je regrette souvent – je t’en donne ma parole d’honneur – de n’avoir pas été peint par M. Dagnan-Bouveret… Car, si j’avais été peint par M. Dagnan-Bouveret, comprends-tu ?… tout ce qui se dit de moi aurait sa raison d’être… Et je n’en souffrirais pas… Tiens ! regarde cette grosse dame… oui, là-bas… à gauche…, cette grosse dame en rose… devant le Vermeer… Tout à l’heure, elle rassemblait autour de moi toute sa famille – quatre petits garçons, quatre petites filles, et autant de neveux et de nièces – et elle disait à tout ce monde, en me désignant de la pointe d’une aiguille à chapeau : « Examinez bien ce vieux-là, mes enfants. Comme il ressemble à votre grand-père ! » Et les enfants de s’écrier, en tapant dans leurs mains : « C’est vrai !… Grand-papa… grand-papa ! » Eh bien, j’aime mieux ça. Je ne sais pas pourquoi… ça m’a fait plaisir… oui, ça m’a ému, de savoir que je ressemble à quelqu’un, à quelqu’un de vivant, même à quelqu’un de Bruxelles ; … car, sûrement, elle est de Bruxelles, la grosse dame en rose… Mais si tu avais entendu, l’autre jour, M. Thiébaut-Sisson ? Alors je ne ressemblais plus à rien… Et M. Mauclair, donc ?… N’affirmait-il pas que je suis « de la peinture statique » ? Quelle pitié, mon Dieu… quelle pitié !

Est-ce curieux ?… Est-ce humiliant pour notre mentalité, qu’il existe encore au XXe siècle tant de gens assez oisifs, assez pauvres d’idées, assez dénués du sens de