Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/14

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L’époque, cher monsieur Charron, est terriblement réfractaire à l’admiration que nous devons aux choses du progrès, à la reconnaissance que nous devons aux hommes qui travaillent, luttent et trouvent. Admiration et reconnaissance, on ne les comprend et ne les accepte que si elles sont tarifées et rétribuées selon des prix courants, proportionnés à l’enthousiasme avec lequel on les exprime. La presse est devenue si universellement vénale, elle oblige tellement toutes les choses de la vie à verser dans sa caisse, pour être reconnues valables, un impôt de plus en plus lourd, qu’un écrivain, aujourd’hui, sous peine de se déshonorer, n’a plus le droit de signaler une découverte scientifique importante, ou de confesser un plaisir, une émotion, si cette émotion, ce plaisir lui viennent d’un objet fabriqué et qui se vend. Pour un temps, dont on aperçoit, d’ailleurs, la fin prochaine, il peut encore – sauf dans Le Journal, bien entendu – admirer un livre, un tableau, une statue, dire, à peu près librement, ses impressions sur ce qu’on appelle une œuvre de l’imagination. Classification vraiment arbitraire et comique, car j’ai toujours pensé que les statues, les tableaux, les livres se vendent avec plus d’âpreté encore que les machines ; et les machines m’apparaissent, bien plus que les livres, les statues, les tableaux, des œuvres de l’imagination. Quand je regarde, quand j’écoute vivre cet admirable organisme