Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/144

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Et, dans le jardin de la maison familiale, j’ai revu la ruche, d’où partirent les divines abeilles, qui allèrent butiner les belles fleurs de sagesse et de vie.

Verhaeren, j’ai entendu sa voix éloquente, son verbe emporté, dans le vent qui souffle sur les dures plaines de l’Escaut… et j’ai cueilli, aux vieilles portes des demeures flamandes, aux vieux bahuts flamands de ses villages, ses beaux vers sculptés d’une gouge si sûre, d’un ciseau si puissant et si passionné.

J’ai cherché, comme s’il était encore vivant, Franz Servais, dans la campagne abondante des environs de Hall et les tristes rues d’Ixelles. Je l’ai entendu rire joyeusement, et s’attarder à parler de la musique de Liszt, et de la part d’inspiration flamande qu’il y a dans celle de Beethoven, et, une fois encore, de cet admirable poème de Jeanne d’Arc, qu’il allait noter et qu’il a remporté.

Et j’ai surpris Rodenbach dans une vieille maison dentelée de Bruges, aux intimités silencieuses, assis, derrière ce transparent qui vaporise les figures, écoutant chanter les carillons, et pleurer l’âme des hommes, regardant glisser les cygnes sur les eaux bronzées du Lac d’Amour…

Ils sont de chez eux, parce qu’il faut toujours à la pensée un point d’appui, un tremplin sûr, pour, de là, s’élancer et se disperser à travers l’humanité. Ils sont de chez eux, et ils sont de chez nous, et ils sont de partout, comme ces êtres privilégiés qui ont su donner une vérité, une émotion, une forme éternelle de beauté, au monde qui s’en réjouit…