Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/174

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son chapelet où des croix, des cœurs de Jésus, des médailles bénites s’entrechoquent :

— C’est heureux, conclut-il, que, de temps en temps nous rencontrions des âmes généreuses, des âmes comme ça… parce que la religion, voyez-vous… dans ce temps-ci… ça devient un sale métier… ah ! sacristi… un bien sale métier ! Enfin, voilà…



Émigrants.


Des ouvriers de Hongrie, de Roumanie, des paysans serbes, des prolétaires bulgares, dont le goût s’apparente à celui des nègres, des troupes de chanteurs russes s’embarquent pour l’Amérique… Leur lassitude, déjà, fait de la peine… Des femmes éclatantes et vermineuses, en loques rouges, avec de pauvres bijoux de cuivre, traînent, comme des baluchons, des enfants qui pleurent de fatigue, de faim, d’étonnement. On se demande ce que tout cela va devenir, et s’ils arriveront jamais au bout de l’exil… On les fait descendre brutalement, on les empile, comme des marchandises qu’ils sont, au fond des cales, et, durant des jours et des nuits, ils seront entassés là, pêle-mêle, dans la puanteur de leur misère et de leur crasse, sans air, presque sans lumière, à peine nourris, soumis à la discipline la plus dure… Ils n’auront même pas cette sorte de répit qu’est le voyage ; ils ne connaîtront pas cette sorte d’engourdissement, cet anesthésique, qu’apporte aux plus désespérés ce vague énorme, berceur, de l’infini de la mer et du ciel.

Mais les pires émigrants sont ces juifs de tous pays, cherchant, une fois de plus, un coin de terre, qu’ils n’