Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/173

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Ce qu’ils s’en foutent…, vous n’avez pas idée… J’en ai vu des nègres, dans ma vie… j’en ai vu, mais de ce numéro-là… jamais… Croiriez-vous que l’alcool, ou rien… c’est kif-kif ?… Et pourtant, Dieu sait si c’est une excellente méthode de conversion !… Ah ! parbleu, ils se saoûlent comme des cochons… Et puis, un point, c’est tout… Mécréants après comme avant… Ça, vous savez, c’est inouï… c’est même unique… Alors, ce coup-ci… je vais essayer le gramophone… Ma foi, oui !… Qu’est-ce que je risque ? Il paraît, du reste, que le gramophone opère de vrais miracles… J’ai, en Afrique, un ami, à qui ça réussit merveilleusement… Et pas d’ennuis, pas de fatigues… pas de catéchisation… Il rassemble ses nègres autour de l’instrument, et au bout de la troisième plaque… pan… ils sont chrétiens… La grâce, ça leur vient en écoutant chanter le gramophone… Ah ! ah ! ah !… Ça ne m’étonne qu’à moitié… J’ai toujours remarqué que les nègres raffolent de musique et de chansons. Enfin, je vais bien voir si, avec les marches militaires de la garde républicaine, les valses de Strauss, les chansonnettes d’Yvette Guilbert, et le bel canto de M. Caruso, je serai plus heureux qu’avec le bon Dieu, la promesse du Paradis, et les petits verres de rhum. En tout cas…

Il se met à rire d’un rire franc, sonore :

— En tout cas, reprend-il, je ne serai pas reparti là-bas, pour rien… Et je vous donne ma parole d’honneur que, si je n’arrive pas à les convertir… et même, si j’y arrive… dites donc !… ah ! ah !… ils me les paieront ces gramophones, et un prix… ah ! ah !… un vrai prix… Qu’est-ce que je risque ? J’en emporte mille que je dois à la générosité d’une vieille douairière très pieuse… Ah ! la brave femme, la sainte femme !…

Il insère son revolver dans l’étui, et faisant tournoyer