Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/221

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et passer l’eau, sur des barquettes légères, des troupes de femmes, en courtes et lourdes robes de bure, le corsage avivé d’une broderie rouge, la tête ornée de petits casques plats, dont le métal poli brille au soleil.

La grande passion de l’homme, en Hollande, c’est le travail. De Bréda au Helder, de Walcheren au Texel, tout le monde, hommes, femmes, enfants, travaille d’un travail âpre et continu. On travaille à l’eau, à la terre, aux digues, aux ports, aux navires, aux fleurs. Rien n’est perdu. De la moindre chose, on sait faire une source d’enrichissement. Le jour que nous passâmes à Leuwarden, on avait vendu, sur le marché, cent vingt mille œufs de vanneaux. Ils savent organiser et développer, comme celle de la poule, la ponte de cet oiseau farouche.

Il n’est pas jusqu’au touriste, de plus en plus nombreux, qui ne soit pressuré, vidé, desséché… Comme il est ravi du voyage, il paie et ne dit mot.

Un jour, à Utrecht, en me remettant sa note, où s’additionnaient, se multipliaient les chiffres les plus fantastiques, l’hôtelier me dit, avec un sourire :

— Monsieur verra que nous ne sommes plus au temps de Voltaire…

— Pourquoi… de Voltaire ?… fis-je… Quel rapport ?

— Mais oui… monsieur… de Voltaire… qui disait… monsieur sait bien… qui disait : « Pays de canaux, de canards et de canailles ». Ah ! nous l’avons toujours sur le cœur, ce mot-là…

— Je vois… et sur la note, hein ?

Canailles ?… Non pas… Commerçants ? Oui… Et n’est-ce pas un peu la même chose ? Ils ont, comme on dit, le commerce dans la peau. Aucun peuple n’est mieux doué pour les affaires, et pour la banque… Ils mettent,