Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/233

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voir le soleil dorer des quais, dorer les eaux noires des bassins, dorer l’atmosphère profonde, « l’obscure clarté » qui grouille entre les coques des navires… Peut-être que ce qu’il eût tiré de lui-même eût suffi pour émerveiller les humains. Mais je m’exalte à découvrir, dans son œuvre, la conception, non seulement des images, mais des couleurs les plus somptueuses, issues de la rencontre de son génie, avec le luxe d’un grand port, infini jusque dans la variété de ses misères, à Amsterdam, surtout, le plus oriental des ports d’Occident, Amsterdam et sa sombre population juive.


Fermant les yeux à l’ardeur insoutenable du couchant, vers où nous courions, je songeais à la fin douloureuse du héros, de ce Rembrandt des dernières années, enchaîné par la misère, en proie au malheur, expiant, lui aussi, peut-être, le crime d’avoir osé dérober au ciel, pour nous, le feu divin de sa lumière…




La Digue.


Depuis Gorinchem, c’est presque, jusqu’à Dordrecht, une succession de villages délicieux, dont je ne sais pas les noms, mais dont la traversée dure, peut-être, trois fois plus que celle de Paris. Du haut de la digue surélevée, étroite, nos regards penchent dans l’intérieur des maisons en contre-bas. Devant tous les seuils, lavés, polis, les paires de sabots sont rangées, sabots légers de saule. Avant d’entrer, les habitants ne manquent jamais de se déchausser, et ce sont des pas feutrés qui glissent, comme pour ne laisser après eux aucune trace, même