Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/237

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de Monsieur Gounod… Je ris d’un mensonge inventé pour que je tourne la tête et ne voie pas un rouleau de faux cheveux qu’on détache, et d’un de ces ordres, si durs, de la pudeur, qui vous priveraient, si on obéissait, du spectacle intime le plus doux, gestes secrets et charmants, dont toutes vos veines battent et qu’on n’oserait nommer… Je vois les gares où l’on s’embarque, les gares aussi où l’on revient, et ces quais, enfin, où l’on regrette même le terrible mouchoir qu’aucune main, fût-elle perfide, n’agite plus… Je retiens, une seconde, l’éclat de deux genoux polis et la courbe tendue d’un sein… une épaule ronde parfumée chaleureusement, le duvet de sa cheville… J’attends des larmes qui vont couler sur un visage tout pâle et silencieux de bonheur… Me reviennent en tête, et y précipitent à flots mon sang, des furies de caresses, après quoi, l’on se croyait de force, même qu’on chancelât, à défier l’univers, à en triompher avec tous ses héros et ses monstres, pêle-mêle… Je songe aussi à des riens dont on riait aux larmes, à des moins que rien qui déchaînaient des tempêtes… et à ces après-midi de fatigue, où on se laissait aller à l’ennui, qu’elle définissait : « l’indifférence à ma vie, comme à ma mort ».

Mais, malgré mon désir de mélancolie, je sens que tout cela est loin, bien loin, que tout ce passé se fane et s’efface… Au fond de moi-même, je m’aperçois que, de tous ces souvenirs, qu’une hypocrite et sotte manie de littérature voudrait amplifier en douleurs, il m’en reste un de vraiment vivant, et tout proche, et si vulgaire : la fermeté savoureuse de vos chairs, soles magnifiques, qu’on mangeait si gaîment, à la terrasse de cet hôtel, au bord de l’eau.

C’était, c’est encore l’hôtel Bellevue, un peu plus vieux, un peu plus tassé, lui aussi… Je reconnus le même tapis,