Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/250

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ne vouloir sécher que si lentement la jolie ville, si joliment mouillée, il faut partir… Une petite fille nous offre des œufs de vanneau que nous achetons et que nous mangerons en chemin.

Et la 628-E8 démarre dans la boue glissante, plus d’une fois dérape… Mais le sol s’essore dans la campagne. On oublierait l’averse, n’était le nombre des flaques où se reflètent le bleu céleste et des bouts de nuages nacrés, comme en autant d’éclats d’un grand miroir qui, en tombant du ciel, se serait brisé sur la route…




Rotterdam.


De ce court voyage de Dordrecht à Rotterdam je ne me rappelle rien, sinon que l’auto allait, glissait, sans heurts, sans secousses, et comme allégée des servitudes de la pesanteur. Elle me donnait une joie qui n’est ni la joie de bondir, ni la joie de patiner, mais qui ressemble à l’une et l’autre. Elle m’emportait avec une extraordinaire allégresse, et, vraiment, je me sentais doué de son élasticité. On eût dit que, pour se faire plus douce et pour aller plus vite, elle courait, de toutes ses forces, pieds nus, sur la route.

Et voici que, tout à coup, en haut d’une petite côte qui, en ce pays, nous sembla être une montagne himalayenne, par delà un pont énorme, nous nous trouvâmes devant une espèce de falaise, ou plutôt devant un pan de mur de rêve, formé d’on ne sait quel amoncellement de briques multicolores, de fragments de verre colorié, d’éclaboussures de soleil, au pied duquel venait battre, comme une mer déchaînée, le furieux tumulte d’une ville en travail et d’un port en fièvre.