Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/251

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Falaise ou pan de mur de rêve, il nous fallut quelques minutes pour reconnaître que nous étions en face de la ville neuve de Rotterdam.

À peine entrés dans Rotterdam, nous y avons été enveloppés aussitôt d’un mouvement, d’une agitation que les sirènes sur le canal, les sifflets des locomotives sur les voies ferrées, le roulement des fourgons sur les pavés, faisaient retentir à l’infini… Mais nous fûmes enveloppés bien davantage par la population qui nous environna de faces bouche bée, de gestes qui puérilement cherchaient à s’instruire au contact d’un cuivre, au contact, aussitôt rompu, du radiateur, éprouvaient les pneus, appuyaient sur les garde-crotte. L’ébahissement de cette foule, qui souriait ou s’assombrissait, mais demeurait silencieuse, nous enserra si bien, que nous dûmes nous arrêter.

Pour bruyante et remuante qu’elle fût, Rotterdam me parut bien plutôt une ville sauvage et lointaine. Au plus plaisant, au plus riche milieu de l’Europe, ses habitants avaient l’air de Lapons ahuris. À tout le moins, ils n’avaient jamais vu ou ne voyaient que rarement d’autos… Cette population, habituée à tous les vacarmes, à toutes les étrangetés de la vie cosmopolite, au spectacle du commerce mondial et de travaux surhumains, s’affolait, autour de notre machine, sans paroles.

Les dames n’oublient en aucune circonstance de s’apprêter pour les regards, et tous les regards leur plaisent, excepté qu’elles y voient durer l’hébétement. Les nôtres se remuaient sur leurs coussins, assez mal à leur aise, en apercevant – vision de terreur – de rudes mains se coller aux vitres, s’y promener. Ma voisine ferma les yeux… Ses gants tremblaient.

Cette foule muette, dans cette ville en fièvre et pleine de