Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/254

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des risques… ici… à Rotterdam… des risques, mon cher.

D’un autre, j’eusse pu croire à quelque bouffonnerie, et même – à considérer ses yeux un peu fixes et le sourire durable que la mauvaise qualité de ses dents ne parvenait pas à gâter – à de la folie. Mais il ne m’est jamais arrivé de douter de mon ami Weil-Sée, de la solidité de son intelligence. Je l’écoutais avidement, en me laissant entraîner vers sa table, au fond de la salle, ou plutôt, je le suivais, sans même en avoir été prié, car Weil-Sée a une telle horreur de la violence qu’il n’oserait pas entraîner son meilleur ami par le bras, fût-ce vers un trésor.

Ces « risques » dont il me parlait, ces « risques » qu’il plaçait, je compris bien vite que c’étaient les maisons, les récoltes, les automobiles, les chevaux de courses, les tableaux de maîtres, les bateaux, les meubles, les ouvriers, qu’il assurait contre les accidents et même contre les assurances… Agent d’assurances… voilà… il était tout simplement agent d’assurances… Mais, avec mon ami Weil-Sée, rien n’est jamais simple. J’entrevis aussitôt des spéculations ingénieuses et formidables.

Il m’expliqua avec animation…

— Assurances contre l’incendie, les accidents, le vol, les naufrages, la pluie, la grêle, les sauterelles… sans doute… Que voulez-vous ? Il faut vivre… Mais le nouveau, l’important, mon cher, ce sont les assurances et les réassurances que j’établis contre le mensonge, la vérité, la stérilité et la fécondité, contre la maladie – toutes les maladies, – contre la débauche et contre la vertu, contre la guerre et contre la paix, contre les monarchies et contre les républiques, contre l’ennui… la stupidité des fonctionnaires et la tyrannie des lois, contre la trahison, l’amour, la littérature…