Il me sembla que ce mot faisait trembler ses vieilles lèvres.
— J’ai tant hérité d’elle !… oui… ce geste où je l’ai vue si souvent s’oublier, des heures durant, à ouvrir et refermer, les yeux perdus, ouvrir et refermer, pauvre maman !… deux cents fois de suite, peut-être, le fermoir d’un bracelet d’or, à son bras… Les idiots !… L’idiot que j’étais !
Il hurla et il cracha… je puis bien dire qu’il cracha dans mon oreille :
— Eh bien ! tout ce que la fortune… n’importe quelle fortune… peut donner… je l’ai déjà, puisque je l’ai imaginé. Et ma tête me donne encore une avance, inintégrable en chiffres, sur tous les milliardaires des deux Amériques… Tout… je l’ai possédé, possédé… écoutez-moi… possédé !…
Il appuya encore sur le mot… et, m’attirant à lui – décidément, trop de thé finissait par l’enivrer, – il ajouta encore plus confidentiellement :
— Qu’est-ce que c’est que posséder ?… Posséder, c’est comprendre… ou, si vous aimez mieux… imaginer. À notre ploutocratie misérable, voici que succède une gnosticratie !…
— Quoi ?
— Une gnosticratie… vous comprenez ?… gnosticratie.
Est-ce que je comprenais ?… Bah !
— Une gnosticratie qui mènera, sans doute, enfin, la pensée au nihilisme parfait de l’indifférence absolue, où les arrière-neveux de nos arrière-neveux… Mais c’est évident… Pour moi, j’aurai tout compris…
Il me sourit :
— Ou j’aurai cru que j’ai tout compris.
Il éclata de rire.