Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/260

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Il éclata de rire, d’un rire qui ressemblait à un éternûment…

— … Vous rappelez-vous Charlotte qui prétendait que j’étais un pauvre garçon… qui n’arriverait jamais à rien ?… Ah ! ah !… Oui… Et Noémi ?…

Il rit plus fort.

— Noémi, qui m’a quitté, parce que je n’avais plus le sou ?… Crevant, hein ?… Plus le sou. Avec ce front-là ?…

Il se gifla le front, fouilla ensuite dans sa poche, en ramena quelques pauvres florins, qu’il fit rouler sur la table :

— Plus le sou ? Tordant !… tordant !

Puis :

— Il y en a même qui me reprochent de rêver… d’être insouciant… léger… trop peu pratique… de mettre, en toutes choses… comment appellent-ils cela ?… de l’exagération… oui, mon cher, de l’exagération !…

Et il avoua, dans une nouvelle bordée de rires, qu’il avait été, parfois, de ceux-là…

— Tout le monde disait : « Il rêve… il rêve !… » Pour rien… à propos de tout… Et je me reprochais de rêver… je m’en voulais de rêver… Je m’en voulais de m’absorber si longtemps à voir couler un fleuve, passer une femme, flamber un foyer… tandis que des projets tambourinaient à mes tempes… ou simplement, de contempler, toute une soirée, mon papier, sans y toucher… Et mes journées… mes nuits, à bâtir des impossibilités prodigieuses, en chantant à tue-tête !… J’en vins à me refuser cette volupté du rêve… comme j’ai su renoncer à l’éther, au haschich, aux femmes, et même au tabac… J’en vins – c’est affreux – j’en vins à accuser, de ce détestable et délicieux penchant pour la rêverie, le pire et le plus exquis des stupéfiants… à en accuser ce geste de maman…