Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/308

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on se dévoue à un homme, à une femme, à un principe, au lieu de suivre sa vie, et au point de leur sacrifier, comme le chien, ses idées, ses goûts, sa personnalité ?

Le chien est donc écrasé. Et, devant le petit tas sanglant, pendant que l’automobile roule, au loin, déjà perdue dans son nuage de poussière, l’homme, au lieu d’accuser son orgueil, sa propre maladresse, maudit le progrès, la science, le monde entier.

— Ah ! les automobiles ! Quel désastre !… quelle folie !… quel crime !

Il jure qu’il va prendre un fusil et faire, désormais, la chasse à « ces outils » de malheur.

— Deux hommes… dix hommes… vingt hommes pour mon chien !

Richard III avait déjà dit, dans un accès de folie : « Mon royaume pour un cheval ! »

Le pauvre Brossette fait grande attention. Du plus loin qu’il voit un chien, invariablement, quelque pays qu’il parcoure, il lui crie, dans le patois des bords de la Loire :

— Moussu !… Moussu !

Il ne l’injurie jamais avant de l’avoir évité ou écrasé. Après quoi, il maugrée, en serrant les dents :

— Ah ! la chale bête !

Ce qui donne à ce pur Tourangeau – et seulement, dans ces moments tragiques – une prononciation étonnamment auvergnate.

Mais, c’est le prix de l’effort qu’il vient de faire, l’expression de sa joie ou de son dépit.

Hélas ! trop souvent, l’appellation : « Moussu, Moussu ! » est aussi inutile que la précaution d’une charmante femme qui, maternelle aux poules, ne peut s’empêcher, dès qu’elle en aperçoit, de taper dans ses mains, du fond de la voiture, s’imaginant qu’en plus du