Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/33

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Le garage.



Charles Brossette ? Il vaut la peine d’une digression…

Mais avant que de parler de lui, je dois dire un mot du milieu où naquit et se développa cette nouvelle forme zoologique : le mécanicien.

L’automobilisme est un commerce en marge des autres, un commerce qui ressemble encore un peu à celui des tripots et des restaurants de nuit. À son début, il ne s’adressait exclusivement qu’au monde du plaisir et du luxe. Il groupa donc, fatalement, automatiquement, autour de lui, le même personnel, à peu près : fêtards décavés, gentilhommes tire-sous, pantins sportifs, échappés des albums de Sem, cocottes allumeuses et proxénètes, toute cette apacherie brillante, toute cette pègre en gilets à fleurs, qui vit des mille métiers obscurs, inavouables, que produisent la galanterie et le jeu, et dont les cabinets de toilette, les cercles, sont les ordinaires bureaux. Les « grands noms de France », soutiens des religions mortes et des monarchies disparues, qui rougiraient de pratiquer des commerces licites, s’adonnent le plus volontiers du monde aux pires commerces clandestins, pourvu que leur élégance n’en souffre pas trop, publiquement, et que s’y rassurent leurs principes traditionnels. Car il est faux de dire qu’ils déchoient, ces gentilhommes ; ils continuent. Ils se ruèrent donc sur l’automobilisme avec frénésie. Tel duc, tel vicomte, qui gagnait péniblement sa vie, en procurant à des Américains, à des banquiers enrichis, de vieux meubles truqués, d’antiques bibelots maquillés, des tableaux contestables, et, à l’occasion, des demoiselles à coucher ou à marier, se mirent à brocanter des automobiles,