Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/34

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à décorer, de leur présence rétribuée, des garages qui se constituèrent, un peu partout, pour l’exploitation – que dis-je ? – pour le détroussement du client nouveau.

Ces garages formèrent des équipes de mécaniciens. Ils leur inculquèrent d’assez vagues connaissances sur la conduite et l’entretien des moteurs ; ils leur apprirent, surtout, à les détraquer, adroitement, comme le cocher de grande maison détraque un attelage, pour avoir à le remplacer et réaliser aussi de forts bénéfices sur la vente de l’un et l’achat de l’autre. Ils leur enseignèrent d’admirables méthodes, les trucs les plus variés, qui permissent de centupler la fourniture de l’outillage, des accessoires, de voler sur l’huile et sur l’essence, d’exploiter la fragilité des pneumatiques, comme le cocher dont je parle vole sur l’avoine, le fourrage, la paille… Ce fut une école de démoralisation où, s’entraînant l’un l’autre, le vieux lascar stimulant le néophyte timide, chacun perdit, peu à peu, le sens proportionnel de l’argent, la plus élémentaire notion de la valeur réelle de la camelote brute ou travaillée. Et ce fut si fou que ce qui coûtait, ailleurs, deux sous, valut, ici, sans qu’on s’étonnât trop, vingt francs. J’ai le souvenir d’une note où un lanternier d’automobile me comptait cent francs une simple soudure de phare, qui en valait bien trois… Tel accessoire, coté, en ces temps héroïques, quatre-vingts francs, est coté sept francs aujourd’hui dans les catalogues – illustrés par Helleu, – des maisons les plus chères. Le reste, à l’avenant.

Ils ne risquaient rien, ni le mécanicien, ni le garage, car ils tablaient à coup sûr, sur l’ignorance du client, à qui il suffisait, pour qu’il se tût, qu’on lui lançât à propos une belle expression technique :

— Mais, monsieur, c’est le train baladeur. C’est l’