Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/344

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quoi ! Dusseldorf n’était qu’à quarante kilomètres… Rien ne m’obligeait, ce soir-là, au contraire, tout me déconseillait de pousser jusqu’à Dusseldorf, sinon l’impérieux besoin, l’impérieux et stupide besoin de conquérir des kilomètres, encore… Je brûlai Krefeld, dont le développement économique, le mouvement et la vie me parurent une chose prodigieuse… Affaires et plaisirs, tout y était… Ville charmante, propre, colorée. Les rues étaient pleines de monde… Et ce monde semblait joyeux… Une foule gaie, voilà un spectacle rare…

Qu’on excuse ce souvenir personnel… Moi aussi, je m’amusai à voir que, ce soir-là, on jouait Les affaires sont les affaires, au théâtre municipal…

À quelques kilomètres au delà de Krefeld, un petit incident de route que je note, parce qu’il est caractéristique des mœurs allemandes, m’a laissé, dans l’esprit, en même temps qu’une légère impression de remords, une impression aussi de douceur très douce et très jolie.

Devant nous, un petit cheval trottinait, traînant une petite charrette vernie que conduisait une jeune paysanne. Le cheval prit peur – les chevaux sont partout les mêmes – et, les oreilles dressées, se mit brusquement au galop. J’arrêtai la machine, mais l’animal effrayé ne se calma point. Il gagnait à la main, comme disent les cochers. Au risque de se tuer, la jeune fille sauta maladroitement de la voiture, et roula sur la route… Je me précipitai à son secours, aidai à la relever… Elle était blonde, très fraîche, presque luxueusement habillée…

Dès qu’elle fut debout, elle s’efforça de sourire… s’excusa :

— C’est ce vilain petit cheval… Mon Dieu, qu’il est bête !… Il a peur de tout… Excusez bien.