Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/37

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bien vite aux lascars parisiens les plus délurés. Il va d’usine en usine, de garage en garage, se familiarise avec tous les types de voiture, conduit des cocottes, des boursiers, des ducs, fait des voyages, prend part à des enlèvements de jeunes filles et à des épreuves de tourisme.

Il revenait d’Amérique, un peu désillusionné, quand je le rencontrai, lui cherchant une voiture, moi, un mécanicien. Au cours de nos pourparlers, je lui demandai son opinion sur l’Amérique.

— Rien d’épatant, monsieur, me répondit-il. L’Amérique ? Tenez… c’est Aubervilliers… en grand !

L’observation était, sans doute, un peu courte. Elle m’amusa. J’engageai Brossette.

J’eus d’abord de la peine à m’habituer à lui… Et puis, je m’y habituai, comme à un vice.

Brossette est le produit du garage.

Il ne sait pas très bien distinguer entre ce qui m’appartient et lui appartient, et confond volontiers ma bourse avec la sienne. Depuis trois ans, l’extraordinaire, c’est que le réservoir d’essence de ses voitures, grâce à une fatalité diabolique, a sans cesse des trous, des trous invisibles, par où la motricine coule et fuit, et qu’on ne peut pas arriver à boucher… Exemple fâcheux, et contagion plus rare, le réservoir d’huile imite son voisin à la perfection.

À chaque fin de mois, lorsque Brossette m’apporte son livre, la même conversation s’engage, chaque fois, entre nous…

— Voyons, Brossette, je n’y comprends rien. Le mardi 17, vous me marquez cinquante-cinq litres d’essence.

— Sans doute…

— Bon. Le mercredi 18, encore cinquante-cinq litres…