Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/397

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Le théâtre repopulateur.


Nous sommes allés au théâtre. On y joue Monna Vanna, de Maurice Mæterlinck. Vous savez le prodigieux triomphe, en Allemagne, de cette belle tragédie. On n’en compte plus les représentations, et son succès y dure toujours. Elle est interprétée avec soin, mais sans verve. La mise en scène en est somptueuse, mais sans goût. Les couleurs y hurlent ; le clinquant des accessoires vous aveugle. Ce n’est pas de la figuration, c’est de la fulguration.

Nous avons eu beaucoup de peine à trouver des places. Salle bondée, archicomble, comme on dit chez nous. Foule recueillie, plus que recueillie, extatique, comme dans une chapelle de couvent, un chœur de moines, la nuit du vendredi saint. Je n’ai jamais vu une attention aussi religieuse, de tels regards de prières, simultanément braqués sur la scène, comme sur un tabernacle, au moment où resplendit le mystère de l’Incarnation… Jamais, dans une salle, pleine à en éclater, je n’ai entendu un si impressionnant silence.

Von B… me dit, dans un entr’acte :

— Vous assistez là, mon cher, à un des spectacles les plus curieux qui puissent se voir en Allemagne… Et ce qui se passe ici, à Dusseldorf, se passe, à cette même heure, dans plus de quarante villes, où l’on joue, ce soir, Monna Vanna… Savez-vous ce qui fait, au fond, le succès sans précédent de cette tragédie ? Je vais vous le dire… C’est tout ce qu’il y a de plus allemand… Au second acte, Monna Vanna entre dans la tente de Prinzivalle « nue sous le manteau »…