Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/431

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Les deux frontières.


Nous nous sommes promenés, pendant cinq jours, à travers l’Alsace, ses cultures d’orge et de vignes, ses houblonnières en guirlande, ses belles forêts de sapins, ses montagnes, aux contours élégants, aux pentes molles, aux tons très doux de vieux velours… Quelle lumière attendrie ! Quels ciels légers, mouvants ! Il me semblait reconnaître les transparences infinies de la Hollande. La nature, heureuse d’ignorer les limites qui séparent les hommes et que leur imposent, tantôt ici et tantôt là, en avant ou en arrière, leurs sottes querelles, est bien la même qu’autrefois… Nous nous sommes arrêtés dans ces petites villes Louis XIV, que gardent souvent des portes plus anciennes, dont les beffrois, aux faîtes élancés de tuiles vertes, et les façades peintes, à fresque rose, sont comme des souvenirs de cette vieille Allemagne, qu’elles sont redevenues, sans qu’elles en sachent rien…

Dans une de ces petites villes, nous manquons d’essence… On nous dit :

— Vous en trouverez chez le pharmacien.

Mais le pharmacien n’en a plus… Il vient de vendre son dernier litre à des Anglais…

— Vous trouverez cela chez le médecin, renseigne-t-il…

Le médecin est sorti, en tournée de visites. Il n’y a plus à la maison qu’une petite bonne. Elle nous mène dans un cellier où j’aperçois un tonneau, plein de « benzine », et un gros bidon d’huile.

— Prenez ce qu’il vous faut…