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BORDS DU RHIN

Elle dit, toute pâle, dans un cri de désespoir : « C’est lui !… C’est lui !… » Et quelques instants après, « à l’ombre d’un grand chêne », pendant que M. Hanski s’en est allé on ne sait où, ils échangent le premier baiser et le serment de fiançailles !

Naturellement aussi, on attendra que Balzac ait payé ses dettes, rétabli ses affaires… Le temps de quelques mois, parbleu ! Mais que d’accrocs, que de désillusions successives… Elles vont de mal en pis, ses affaires… Malgré les calculs optimistes, les chiffres mirobolants, où Balzac essaie de se leurrer, de la leurrer, les dettes s’ajoutent aux dettes ; les difficultés s’accumulent sur les difficultés : chaque jour, un obstacle nouveau. Mais il ne démord point de ses espérances ; pas une seconde la confiance ne l’abandonne. En vue du mariage, toujours prochain, pour orner sa maison qu’il veut fastueuse et royale, il a acheté, à crédit, le plus souvent, de merveilleux meubles, des tableaux de vieux maîtres italiens, des tapis précieux, qu’il revend ensuite à perte, pressé qu’il est toujours par d’immédiats besoins d’argent. De son cabinet de Paris, il surveille et dirige les intérêts de Mme Hanska, s’inquiète du rendement de sa fortune, comme si elle était déjà sienne. Quels rêves de splendeur ! Quelles géniales combinaisons ! Quelles affaires n’a-t-il pas dû bâtir, sur cette richesse, et sur l’éclat de ce nom étranger qu’il va bientôt imposer à l’admiration de Paris !

De son côté, Mme Hanska rêve d’une vie nouvelle, élargie. Elle a toujours les yeux tournés vers ce Paris où son ami vit et travaille, se débat, souffre et attend, vers ce Paris où sa beauté, sa supériorité intellectuelle, son aventure romanesque, et le grand nom de Balzac lui assurent une place exceptionnelle, privilégiée, retentissante… L’existence morne qu’elle mène, là-bas,