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BORDS DU RHIN

cette fortune, prenant ci, prenant là, engageant davantage un avenir engagé de tous les côtés, il n’hésite plus ; il part pour la Russie. Il comprend nettement, cette fois, que tout est fini, qu’il est perdu, qu’il ne lui reste plus qu’une ressource : se marier. Coûte que coûte, il faut qu’il revienne à Paris avec une femme, c’est-à-dire avec une fortune. On peut chiffrer l’illusion vers laquelle il marchait. Rencontrant Victor Hugo, la veille même de son départ, il lui dit :

— Oui, je vais en Russie… Une affaire… J’en rapporterai dix millions.

Durant les vingt mois que dura cette absence, que se passa-t-il entre Mme Hanska et lui ? On ne le sait pas bien, ou plutôt on l’ignore totalement. Je crois que M. de Spoelberch de Lovenjoul ne possède, sur cette période, aucun document. Jean Gigoux lui-même ne m’en a parlé qu’en termes vagues. Ses souvenirs étaient très confus, disait-il. Il semble d’ailleurs que, dans son intimité avec Mme Hanska, Gigoux ne se soit jamais beaucoup préoccupé des choses du passé, et qu’il ait borné ses curiosités, presque uniquement pittoresques ou galantes, aux événements du présent, et encore à ceux seulement où il eut sa part d’action. Il croyait pourtant avoir entendu dire à Mme Hanska que Balzac avait eu beaucoup de peine à la décider. Elle avait réfléchi, voulait renoncer à une union qui avait subi tant d’entraves et ne la tentait plus. Il paraît aussi que Balzac avait énormément changé. Il perdait de sa séduction, de sa gentillesse, montrait une autorité despotique, de bizarres manies qui l’effrayaient. Son masque tombé, il devenait rude et violent. Et puis, il était très malade. Il avait eu, là-bas, des crises au foie, au cœur. La déchéance morale, la destruction physiologique commençaient… Enfin l’entourage de