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BORDS DU RHIN

une sorte de grand peignoir rouge, les bras nus, et déjà toute coiffée. Elle n’avait pas dormi de la nuit… Elle m’avoua qu’elle n’avait pas osé entrer dans la chambre du malade…, que Nacquart y était en ce moment…, qu’elle ne savait que faire…, qu’elle était très malheureuse. « Il est si dur pour moi, gémit-elle… J’ai peur de le voir… » Elle semblait fort surexcitée et, en même temps, très abattue. Je lui conseillai de se montrer, ne fût-ce que quelques minutes, au chevet de son mari… Elle répliqua : « Il ne fait même pas attention à ma présence… Il m’humilie… Non… non… C’est trop affreux ! » Et brusquement, en larmes : « Vous n’allez pas encore me laisser seule, toute la journée, comme hier ?… J’ai failli devenir folle… » Doucement, je lui reprochai son obstination à ne vouloir recevoir personne, surtout les anciens familiers de Balzac. Je tâchai de lui faire sentir combien son attitude serait mal jugée : « On soupçonne vos dissentiments… mais on ne les sait pas si profonds… C’est maladroit, je vous assure… Croyez-vous que les amis ne jaseront pas … ne jasent pas déjà ?… Même pour les domestiques… » Elle s’irrita : « Ces gens m’agacent… Je n’ai besoin que de vous… je ne veux voir que vous !… Ah ! et puis… vous aussi… tenez… vous m’agacez… Je ne vous aime plus ! » Il était près de midi quand Nacquart, sortant de chez le moribond, la fit demander… Elle ne resta que quelques minutes avec lui et rentra très pâle, très vite, dans la chambre, où elle s’affala sur un fauteuil. « Il paraît que c’est pour aujourd’hui ! » fit-elle brièvement. Et, la tête un peu penchée, son beau front tout plissé, les yeux vagues, elle joua avec les effilés de son peignoir rouge : « Il s’est endormi, dit-elle encore… Tant mieux s’il ne souffre plus ! » Tout à coup, tapant sur les bras du fauteuil : « Ah ! ce Nacquart ! je le déteste…