Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/72

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montagnes de crassiers que franchissent les petits chemins de fer aériens ; Furne où les processionnaires du Saint-Sang défilent, portant des croix de fer, lourdes comme leurs péchés, quand tout ce pittoresque, tout cet art, tout ce mouvement tragique du travail, tout ce tumulte de la Meuse et de l’Escaut, tout ce silence mortuaire des béguinages, tous ces souvenirs de kermesses et de massacres, ne sont qu’à quelques tours de pneus d’ici.

Et justement Bruxelles !

Enfin, j’y suis… Il faut bien que j’y reste, ne fût-ce que pour panser mes côtes meurtries et mes reins brisés par tant de ressauts et de cahots, sur ces routes de supplice…



Après tout, on peut aimer Bruxelles. Il n’y a là rien d’absolument déshonorant.

Je sais des gens, de pauvres gens, des gens comme tout le monde, qui y vivent heureux, du moins qui croient y vivre heureux, et c’est tout un.

J’ai conté, jadis, je crois, l’histoire de cet ami, interne dans une maison de fous en province, qui, de sa chambre, n’ayant pour spectacle que les casernes, à droite ; à gauche, la prison et une usine de produits chimiques ; en face, l’hôpital et le lycée ; rien que de la pierre grise, des chemins de ronde, des préaux nus, des cours sans verdure, des fenêtres grillées, me montrait, avec attendrissement, au-dessus d’un mur, un petit cerisier tortu, malade, la seule chose qui fût à peine vivante, au milieu de ce paysage de damnation, et me disait :

— Regarde, mon vieux… On est bien ici, hein ?… C’est tout à fait la campagne.