Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/98

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quatre Memling, et sûrement l’œuvre entier de Wiertz, de Gallait, de Leys, de Van Beers, de Jef Lambeaux, des deux Stevens et de Rops, et encore celui de Henri de Groux ajouté à celui de Knopff, et bien d’autres avec, ah ! je vous le jure, sans compter bien entendu, les lanternes japonaises de M. Théo Van Rysselberghe, pour manger tranquillement, et que je n’entendisse pas parler d’art, et pas parler de Paris… de Paris, surtout… de Paris… Mais les Bruxellois, quand ils se mettent en frais, et pour bien étaler leur culture, et pour bien montrer qu’ils sont de Bruxelles, n’ont que deux sujets de conversation : l’art et Paris… Paris et l’art…

Par malheur, ce soir-là, nos hôtes étaient particulièrement amateurs d’art, et amateurs de Paris, et particulièrement prolixes. Au bout de cinq minutes, à peine avions-nous touché aux hors-d’œuvre – comment s’y prirent-ils ? – ils avaient fini par me dégoûter de leur musée, qui est un admirable musée de province, par me dégoûter de tous les musées, aussi bien ceux de Dresde et de Berlin que de La Haye, de Madrid et de Florence… Quant à Paris, chaque fois que ce nom sortait de leur bouche, l’effet en était tel que je me mettais à aboyer douloureusement, comme un chien devant qui l’on joue du piano… Faut-il tout avouer ? Ils avaient fini par me dégoûter de leur cuisine merveilleuse…

Ils énuméraient, comme un vieux soldat ses campagnes, les premières parisiennes où ils avaient été, où ils iraient, revenaient des vernissages, des grandes ventes, du Salon des Indépendants, retourneraient à d’autres salons, d’autres vernissages, d’autres grandes ventes, au Grand Prix, aux dernières premières de la saison, au Salon d’automne, chez les Bernheim, chez Vollard, chez Moline, chez Durand Ruel… J’avais honte