Page:Octave Mirbeau Les Mémoires de mon ami 1920.djvu/17

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comme dans un palais plein de musiques, de danses, de fêtes et de fleurs ! Et je l’en ai chassée !

Et pourtant, elle avait pleuré ! La nuit de notre mariage, si douloureusement pauvre, avec sa face grise et son petit ruban bleu qui nouait ses cheveux de vieille, elle avait pleuré de sensibilité, de souffrance, d’amour !

Pourquoi ne les ai-je pas bues, ces larmes qui étaient, j’en suis sûr, des larmes d’imploration silencieuse ? Pourquoi ce corps triste, cette chair grenue, qu’un peu de confiance eût transfigurés, pourquoi ne les ai-je pas attirés et retenus contre mon corps et contre ma chair ?

La vérité est que, depuis qu’elle avait pleuré, je me sentais pour elle une immense pitié. Il me fut impossible de la lui exprimer. Je suis atteint d’une impuissance singulière. J’éprouve les sensations les plus fortes et les plus violents enthousiasmes. Il y a des moments où il me semble que j’atteins aux cimes éblouissantes de l’absolu. Mais tout cela demeure caché en moi, et ne franchit jamais l’abîme de silence qu’est ma bouche.

Je ne dis donc rien à Rosalie, je ne lui dis jamais rien !

Un soir, pourtant, je lui parlai. C’était quinze jours après notre mariage. Je rentrais de mon travail. Et je trouvai Rosalie un peu pâle, assise dans sa chambre et qui pleurait.

— Pourquoi pleures-tu ? lui demandai-je. Est-ce qu’on t’a fait de la peine ? Est-ce que tu es malade ?

— Non !

— Alors, pourquoi pleurer ?

Et, se levant, elle se jeta dans mes bras, secouée par ses sanglots, et elle me dit :

— Oh ! mon petit homme ! mon petit homme !

Je fus très ému, et vraiment, à cette seconde, Rosalie resplendissait. Il y avait dans ses yeux une flamme nouvelle et ardente ; la peau de son visage rayonnait ; ses cheveux brillaient, une chaleur de vie intense s’échappait, comme d’un foyer, de son corps, qui se collait au mien.

— Allons ! allons ! lui dis-je, en la forçant à se rasseoir, il ne faut jamais pleurer. Et jamais il ne faut m’appeler votre petit homme.

Elle s’écriait, entre des spasmes :