On fit boire beaucoup d’eau de mélisse à la malade et on lui administra quelques cuillerées d’huile de ricin. Et, comme son état empirait :
— Ça n’est rien ! disait-elle en nous regardant d’un regard un peu effrayé. Je sens que c’est une boule… là…
Un soir — c’était un samedi, je me souviens — le visage de ma belle-mère s’altéra tout à coup. Ses narines se pincèrent affreusement. Son regard, qui, déjà, ne voyait plus les mêmes choses que nous, devint trouble et vitreux. Elle respirait avec effort. Sur son front qui se bronzait, la sueur roulait en grosses gouttes glacées. Et semblant ne plus nous reconnaître, elle balbutiait péniblement :
— Ça… n’est rien… Partons… pour… la… campagne… pour… la… camp…
Elle ne put achever.
— Comme c’est long à passer ! observait le beau-père, dont le calme et la confiance persistaient. Moi, ça m’est arrivé, une fois, avec des escargots !
Il estima qu’elle devait prendre du rhum, qui est un remède souverain pour les indigestions.
— Quand elle aura pris du rhum, ce sera fini !
Moi, je sentais la mort sur elle.
— Elle est très mal ! dis-je gravement. Appelez vite un médecin !
— Mais non ! s’obstina le beau-père. Un médecin l’effrayerait. Si elle était si mal que vous le dites, elle le saurait mieux que nous, bien sûr !
Quand elle commença de râler il commença, enfin, de s’inquiéter.
— Je crois, en effet, dit-il, qu’elle ne va pas très bien. C’est curieux, tout de même, comme des haricots qui ne passent pas font du ravage !
Ce fut la belle-mère qui passa dans un petit cri rauque, sans convulsions, presque sans remuer…
Quand il eut été constaté qu’elle était bien morte, le beau-père s’écria :
— Ah !… par exemple !… C’est trop fort !… Mourir d’une indigestion !… pour des haricots qui ne passent pas ! Ces choses-là n’arrivent qu’à moi !