Page:Octave Mirbeau Les Mémoires de mon ami 1920.djvu/35

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— Oaou ! oaou ! oaou !….

— Oui ! oui ! mon petit Bijou, je te comprends bien. Et nous nous amuserons tous les deux ! Et nous nous dirons des choses que nous n’avons dites encore à personne, parce que, vois-tu, personne ne comprend les petits chiens et les petits enfants.

— Aoue ! aoue ! aoue !

Et prenant Bijou dans mes bras, je l’embrassai, et je lui dis :

— Bijou ! Bijou ! je suis content que tu sois venu… Je ne serai plus seul, maintenant, plus jamais seul !…

Ah ! qui expliquera jamais ce que c’est qu’un chien.

Quant à moi, je ne l’essaierai point. Pour pénétrer dans l’âme inconnue et charmante des bêtes, il faudrait connaître leur langage – car elles ont, chacune, un langage avec quoi elles nous parlent et que nous n’entendons pas.

Les physiologistes ont beau fouiller de leurs scalpels le cerveau des bêtes, nous ne saurons jamais rien d’elles. La grande erreur et le grand orgueil aussi de ceux-là qui tentèrent d’étudier le fonctionnement de la vie intellectuelle chez les animaux furent de leur attribuer, à l’état embryonnaire, des idées humaines. La vérité est que les bêtes doivent penser selon leur forme : les chiens en chien, les chevaux en cheval, les oiseaux en oiseau. Et voilà pourquoi nous ne nous comprendrons jamais !

Les savants ont tiré de l’infériorité des bêtes, par rapport à nous, cet argument que, depuis qu’elles existent, elles font toujours les mêmes choses avec les mêmes mouvements, qu’elles n’inventent ni ne progressent. Qui nous dit que ce que nous appelons rythmes mécaniques ne sont pas des lois morales supérieures, et que si les bêtes ne progressent pas, c’est qu’elles sont arrivées du premier coup à la perfection, tandis que l’homme tâtonne, cherche, change, détruit et reconstruit sans être parvenu encore à la stabilité de son intelligence, au but de son désir, à l’harmonie de sa forme ?

Et puis, refuser de la spontanéité, c’est-à-dire de la volonté, de la conscience, aux bêtes, me semble une proposition purement injurieuse et parfaitement calomniatrice.

Entre autres faits angoissants que je pourrais citer, en