Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/110

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à estimer la valeur, sachant bien que de tels renseignements ne renseignent jamais sur personne et sur rien, il ne me connaissait absolument pas… Il n’avait encore éprouvé ni mon intelligence, ni mon caractère ; et moi, me tenant vis-à-vis de lui sur une extrême réserve, je m’étais appliqué à ne lui livrer rien de moi-même… La plus élémentaire sagesse voulait qu’il pensât que je pouvais le trahir, le desservir, tout au moins profiter, contre lui, d’une manière quelconque, de l’inconcevable faiblesse de ces confessions. Le premier mouvement d’un homme, en présence d’un autre homme, d’un homme ballotté comme moi, en tous les sens, par une existence continue de dépendance et de misère, n’est-il pas de se défier, de ne voir que le mal, quitte à rechercher plus tard, à loisir, le bien qu’il peut y avoir en lui ? Or, non seulement il ne se défiait pas, mais encore, sans raison, follement, il me jetait à la tête jusqu’aux secrets de son propre ménage… jusqu’aux secrets compromettants, peut-être, de ces papiers et de ces lettres accumulés dans les tiroirs de son bureau, jusqu’à des secrets qui ne lui appartenaient pas… des secrets d’État… Et pas des secrets complets, définis, ce qui eût pu, à la rigueur, se justifier, mais des commencements de secrets, des bouts de secrets, qui laissent à notre imagination le droit de les fausser ou de les amplifier démesurément !… En vérité, n’était-ce pas