ville ensuite, et, en fin de compte, dans tout le département. Et la crainte se changea vite en terreur, quand il eut annoncé, avec bruit et menaces, son intention de fonder un petit journal, dans un genre nouveau, et qui manquait à la Normandie. En effet, un matin, on entendit crier dans les rues : « Le Chroniqueur normand, journal littéraire, mondain et régional, du sieur Alcide Tourneroche ». Journal de scandale et de chantage eût été un sous-titre bien mieux qualifié, journal d’ailleurs adroitement mené à travers les brousses du code, et dont les insinuations calomnieuses, les questions perfides, les Est-il vrai que… qui ruinaient la réputation des gens, n’en tombaient point, pour cela, sous le coup des lois… À ce jeu, Alcide Tourneroche empocha force gifles, coups de canne et horions de toute sorte, sans jamais en donner de reçu. Infirme, il ne le pouvait pas. Et puis, il s’était fait une philosophie réaliste, supérieure à toutes les questions d’honneur romantique. Il savait que chaque aventure qui secouait ainsi l’habituelle torpeur et troublait l’habituel silence de la vie provinciale, tout en entraînant la réprobation générale, n’en surexcitait pas moins l’universelle curiosité : « Bon ! bon ! disait-il, tout ce qui m’atteint à la figure ou au derrière retombe dans ma caisse. » Les choses allèrent ainsi jusqu’au jour où Alcide Tourneroche lança, dans Le Chroniqueur normand,
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