Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/188

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II


Le lendemain, j’allais beaucoup mieux. Je n’éprouvais plus qu’une sensation de vague délicieux et de grande fatigue. Avez-vous quelquefois, la nuit, dormi dans un wagon ? Les secousses de la voiture et la dureté des coussins vous ont moulu les reins et les épaules ; malgré le plaid dont vous êtes chaudement enveloppé, un froid — un petit froid exquis — fait courir sur tout votre corps des frissons légers comme des caresses ; vous dormez, bercé par le roulement orchestral du train qui vous apporte sans cesse des airs connus, des musiques préférées, et vous avez la perception physique et pour ainsi dire la tangibilité corporelle de ce sommeil. Oui, vous le touchez… Ce sommeil… Et c’est une des plus complètes, des plus étranges jouissances que l’homme puisse goûter. Que de fois ai-je passé des nuits en wagon, sans but de voyage, rien que pour y dormir ainsi ! Aux arrêts, dans les gares, tous les bruits du dehors — la sonnerie du télégraphe, le clac-clac ryth-