Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/193

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ne pouvait retrouver son chemin. Sa voix avait des plaintes comme celle des jeunes chiens qui crient au perdu, dans les plaines, la nuit… Je me fis très doux, l’amadouai avec des promesses de joujoux et de gâteaux. En continuant de pleurer, elle me dit que sa bonne l’avait abandonnée, qu’elle s’appelait Lizy et qu’elle demeurait près de Beresford-Place, dans Lower-Abbey-Street. Je la pris par la main et, déjà causant comme de bons amis, nous voilà partis.

« La jolie enfant, docteur ! Toute rose, avec de grands yeux candides et des cheveux blonds qui, coupés court sur le front, s’éparpillaient de dessous son large chapeau, en longues boucles dorées, sur les épaules ; elle trottinait gentiment, se collant à moi, sa petite main douce serrant ma grosse patte rugueuse. Quelle pitié !… Lizy, chemin faisant, me raconta beaucoup d’histoires naïves, où il était question d’un grand cheval, d’un petit couteau, d’une poupée, d’une pelle de bois et d’une quantité de gens que je ne connaissais pas. Puis tout à coup, sa jolie figure devint grave : elle me dit qu’en rentrant elle serait grondée par sa mère et mise au cachot noir. Je la rassurai de mon mieux et, pour la calmer tout à fait, je lui achetai une belle poupée, avec laquelle l’enfant, aussitôt, entama une conversation : « Oui, madame… N’est-ce pas, madame ?… Certainement, madame… » Mon Dieu, est-ce possible ?