Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/226

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aussi abandonné que si j’habitais le centre mystérieux de l’Afrique, et la vie m’y est davantage hostile.

Aussi, vous pensez si j’accueillis avec joie l’apparition inespérée d’un pareil voisin, et, dès les premiers jours où je le rencontrai, je me suis mis en devoir de lui adresser mille et mille politesses, discrètes et muettes il est vrai, mais éloquentes en diable. Le petit bonhomme ne s’y méprit point, et je vis à l’expression reconnaissante de ses yeux que ses sentiments étaient à l’unisson des miens. Il ne nous restait donc plus que l’heureux hasard ou l’adroite combinaison qui mettrait en présence nos deux timidités, nos deux solitudes, et ferait des deux inconnus de la veille deux désormais inséparables amis. Cela arriva un après-midi — car nous dirigions nos promenades aux mêmes heures et dans les mêmes endroits — je ne sais plus à propos de quoi. Je me nommai. Il se nomma. Il s’appelait M. Justin Durand, ancien pharmacien à Grenelle.

C’était bien la dernière profession que sur sa mine j’eusse donnée à mon futur ami. Les pharmaciens ont, en général, des airs effrontés et bohèmes qui, comme on l’a vu, n’étaient pas du tout ceux de M. Justin Durand. Ils sont tranchants dans leurs idées, libres penseurs, affectent, en politique, des opinions radicales. Or, mon voisin semblait l’opposé de cette sorte d’hommes. Je l’emmenai, le soir même, à la maison, et,