Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/68

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Pauvre père !… sans doute qu’il avait été élevé, lui aussi, par son père, et son père par le sien, de la même façon qu’il m’élevait. Ce n’était pas sa faute… il croyait bien faire… Et moi-même… qu’eussé-je fait de mes enfants, si la fatalité qui heureusement me les épargna, m’eût condamné à leur donner la vie !… Hélas ! je n’en sais rien…

Ah ! la mélancolie de tout cela… de tout cela, dont j’avais retrouvé une des formes les plus décourageantes, ici même à Sonneville-les-Biefs, dans l’accordéon du perruquier !

Je ressassais d’autres souvenirs encore, quand une voiture s’arrêta devant la porte charretière de l’auberge. Immédiatement une fenêtre s’ouvrit :

— C’est toi ? Hé, Berget ?… glapit dans la nuit, une voix que je reconnus pour celle de l’hôtelière.

— Oui, c’est moi !…

— Ah bien merci !… Si c’est permis de rentrer à pareille heure… Tu dois être saoul comme une trique, sale cochon ! Attends-moi. J’vas t’aider à dételer…

— J’ai pas besoin de toi… Fiche-moi la paix, hein ?… Et couche-toi…

— Si c’est Dieu possible !

Et pendant que la fenêtre se refermait, la voiture s’engagea sous la voûte au-dessus de laquelle se trouvait précisément ma chambre