Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/75

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immense espace circulaire que circonscrivaient les masses plus sombres des hautes futaies et où venaient aboutir symétriquement, comme les rayons d’un cercle, les allées forestières très droites, très lointaines. Le fond du décor, c’était juste dans l’axe du château, au delà du paysage architecturé des jardins, au delà d’une large avenue d’eau qui luisait doucement sous le soleil, une profonde trouée sur la campagne et les coteaux boisés que baignait en ce moment une lumière gris-perle, infiniment tendre et gaie. À gauche, entre les hachures des arbres et les arabesques des branches, des toits… des toits… triangulaires ou campanilés, des dômes, des clochetons, couverts de tuiles vernissées et multicolores… toute une ville de toits… les communs, sans doute. J’entendis venir de là de furieux aboiements de chiens…

Ce ne fut qu’une brève impression d’ensemble, plutôt pénible. Ce luxe disparate, souvent choquant, ce luxe sans unité, sans générosité, sans âme m’écrasait… Je sentais là toute une existence de surface et de parade, organisée, administrée par des domestiques insolents, railleurs et mornes… J’eusse préféré me trouver en présence de quelque chose de plus resserré, de plus intime, de plus familial. Qu’allais-je devenir là-dedans, moi si timide, si dépourvu de tout, si pauvre ? Tout cela qui était silencieux et solitaire aujourd’hui, je l’imaginais grouillant de