Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/106

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tife, en qualité de légat. Mais la faction des Blancs, que l’idée de sa supériorité rendait plus hardie, lui fit éprouver tant de difficultés qu’il partit indigné de cette ville, et lança sur elle un interdit qui la replongea dans une confusion plus grande que celle où l’on l’avait trouvée.

Il arriva, au milieu de cette fermentation, que plusieurs des Cerchi et des Donati, s’étant rencontrés à des obsèques funéraires se prirent de querelle. Des paroles ils passèrent aux armes néanmoins, cela ne produisit qu’un léger tumulte pour le moment. Retournés chacun chez eux, les Cerchi résolurent d’attaquer les Donati, et se mirent en marche avec une troupe nombreuse ; mais ils furent repoussés par la valeur de Corso, et une grande partie des leurs furent blessés. Tout était en arme dans Florence. Les fureurs des hommes puissants imposaient silence aux magistrats et aux lois. Les citoyens sages et amis du bien étaient en proie aux alarmes les plus vives. Les Donati et leur parti étaient plus effrayés, parce qu’ils pouvaient moins. Corso, les autres chefs des Noirs et les capitaines du parti se réuniront donc pour délibérer sur leurs intérêts. On convint de demander au pape un prince du sang royal, pour venir réformer Florence. Ils pensèrent que cet expédient mettrait à la raison la faction des Blancs. Cette assemblée et sa délibération furent dénoncées aux Prieurs, et travesties, par le parti opposé, en une conjuration contre la liberté. Les deux factions avaient les armes à la main. Les Seigneurs, encouragés par les conseils et la prudence du Dante, l’un d’eux, armèrent le peuple de la ville et beaucoup d’habitants de la campagne, qui s’unirent à lui ; puis ils forcèrent les chefs des partis a mettre bas les armes, et exilèrent Corso Donati et plusieurs autres des Noirs. Pour montrer leur impartialité dans ce jugement, ils exilèrent aussi quelques-uns des Blancs, qui revinrent bientôt sous des prétextes colorés de motifs plausibles.

Corso et les siens, convaincus que le pape était favorable à leur parti, allèrent à Rome, et lui persuadèprent de vive voix ce qu’ils lui avaient mandé par écrit. Charles de Valois, frère du roi de France, appelé en Italie par le roi de Naples pour passer en Sicile, se trouvait en ce moment à la cour du pontife.

Cédant aux instances pressantes des exilés de Florence, Boniface jugea à propos d’y envoyer ce prince, en attendant le retour du temps propre à la navigation. Charles se mit en route, et quoiqu’il fût suspect aux Blancs qui gouvernaient, ils n’osèrent s’opposer à son arrivée, parce qu’il était chef des Guelfes et envoyé par le souverain pontife ; mais pour gagner les bonnes grâces de ce prince, ils lui donnèrent le pouvoir de disposer les choses à sa volonté dans Florence. Revêtu de cette autorité, il fit armer ses amis et ses partisans. Cette conduite inspira de telles inquiétudes au peuple sur la perte de la liberté, que tous prirent les armes, et se tinrent postés à l’entrée de leurs maisons, pour être prêts au moindre mouvement de Charles. La conduite hautaine des Cerchi et des chefs des Blancs, pendant qu’ils avaient été les maîtres de la république, les avait rendus généralement odieux. Cette disposition, et la certitude que Charles et les capitaines de quartier seraient pour eux, firent prendre à Corso et aux autres bannis de la faction des Noirs la résolution de se rendre à Florence. Suivis de plusieurs autres de leurs partisans, ils y entrèrent sans aucun obstacle, au moment même où l’inquiétude sur la conduite de Charles avait fait armer toute la population. On pressa en vain Veri, de la famille des Cerchi, de marcher contre eux ; il s’y refusa, en disant qu’il voulait les voir châtier par le peuple contre lequel ils venaient. Le contraire arriva ; Corso et les siens furent bien accueillis, et Veri fut obligé de chercher son salut dans la fuite. Corso avait d’abord forcé la porte à Pinti, puis s’était mis en ordre de bataille auprès de Saint-Pierre-le-Majeur, lieu voisin de sa maison. Lorsqu’il y eut rassemblé beaucoup de ses amis, et de gens du peuple, toujours avides de nouveautés, il commença par délivrer ceux qui étaient en prison pour des raisons d’état ou des causes particulières ; il contraignit ensuite les seigneurs à rentrer dans leurs maisons comme simples citoyens. Il choisit dans le peuple de nouveaux magistrats qui fussent du parti des Noirs, et fit piller pendant cinq jours les chefs du parti opposé. Les Cerchi et les autres principaux membres de leur parti, voyant Charles et la plus grande partie du peuple déclarés contre eux, s’étaient